L'économiste chrétienne Elena LASIDA développe sa pensée écologique à partir des 2 dernières encycliques du Pape François. (suite de l'article sur le FCM 1/2)
Lors de ce forum, l'économiste Elena LASIDA (professeur à l'Institut Catholique de Paris et chargée de mission à Justice et Paix France) a présenté une vision synthétique et originale de l'encyclique Sur la Sauvegarde de la Maison Commune « Laudato Si' », en la mettant en parallèle avec l'encyclique précédente La Joie de l’Évangile « Evangelii Gaudium ».
En introduction, elle a insisté sur la chance qu'apportaient ces exhortations pour penser la vie autrement, dans une dimension existentielle, dans laquelle la diversité spirituelle fait partie intégrante d'une vision écologique de notre monde. Il s'agit, pour elle, de passer d'un rapport instrumental à un rapport constitutif à la nature: la nature fait partie de notre constitution (90% d'eau entre dans la composition de notre corps), et nous faisons partie intégrante de la nature. Il ne suffit pas de respecter la nature, mais il faut comprendre la relation d'interdépendance que nous avons avec elle. La Genèse rappelle bien que tout l'univers est créature de Dieu, l'homme comme le monde vivant et le monde inerte, les planètes et les étoiles; ainsi qu'en attestent également les scientifiques comme Hubert Reeves (Poussières d'étoiles).
La conférencière prend l'exemple de la mer pour expliquer qu'elle est une ressource au service de la vie physique (nourriture, énergie, transport), mais pas seulement. Sur le plan existentiel, les océans donnent à s'interroger sur l'infini et, par contraste, sur notre finitude. Ils sont un mouvement perpétuel, ce qui peut nous faire entendre que la vie est mouvement. Ils nous offrent l'expérience des sens: l'odeur marine, le bruit rythmé du ressac, le regard tant investi par les peintres et l'imaginaire des poètes, le goût du sel et le contact avec l'eau. Ainsi, dit l'auteur, la vie est au-delà de la connaissance intellectuelle, car elle est physique et spirituelle. Pour elle, l'expérience spirituelle va plus loin que la connaissance religieuse, car c'est une expérience existentielle de la transcendance qui s'inscrit dans quelque chose de plus grand que nous. Car tout homme traverse cette expérience-là.
En entrant dans le vif de sa thèse, Elena LASIDA explore ce qu'elle appelle "les trois piliers" de Laudato Si' : « tout est lié; tout est donné; tout est fragile ». Après un constat elle propose une conversion écologique, puis un parallèle avec les trois points forts de Evangelii Gaudium : « le tout est supérieur à la partie; l’unité prévaut sur le conflit; le temps est supérieur à l’espace ». Enfin, elle nous interpelle avec trois questions concernant la société et l'Eglise.
Au préalable, elle rappelle une règle majeure édictée par le Pape François, à savoir que « la réalité est supérieure à l'idée ». Il faut toujours garder à l'esprit que la réalité est au-delà des dogmes. Elle dit avec le Pape « laissons-nous surprendre par la réalité ».
Premier pilier: tout est lié.
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Constat: La nature et la vie humaine sont en interdépendance existentielle.
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Conversion écologique: Quels changements concrets opérer dans nos vies? Il s'agit d'être en communion avec tous les êtres vivants (On pense à Saint François et les oiseaux ou encore le loup de Gubbio). Il ne convient pas de n'avoir qu'une relation instrumentale avec les animaux (On se souvient du scandale des abattoirs au Pays Basque... et ailleurs).
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Evangelii Gaudium disait « le tout est supérieur à la partie ». Si tout est lié, ce qui importe, plus que les parties, c'est la relation qui les fait vivre. Elle donne l'exemple de la famille comme école de la société, de la vie, affirmant ainsi la dimension sociétale de la famille.
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La question société et Eglise: Comment faisons-nous communauté ? En raison de la multiplicité des secteurs, le risque est grand de travailler en juxtaposition, sans se rencontrer, sans croiser notre regard. Même dans les associations qui œuvrent pour une même cause, on observe des entreprises parallèles, voire concurrentielles.
Deuxième pilier: tout est donné.
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Constat: La nature et tout ce qui la compose nous a été donnée. Nous n'avons rien acheté, rien mérité: c'est un cadeau. La terre ne nous appartient pas.
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Conversion écologique: Il faut réapprendre la gratuité. Il faut aussi revenir à plus de gratitude.
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Evangelii Gaudium disait « L’unité prévaut sur le conflit ». Quand on perçoit la nature et la vie comme un don, alors s'effrite notre sens de la propriété; ainsi s'amenuise notre tendance à défendre "nos biens" et à juger plutôt en fonction du bien commun, telle notre "maison commune". Mais l'unité n'est pas l'uniformité. C'est au travers de nos différences et de leurs richesses que la marche commune peut s'exercer.
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La question société et Eglise: Avec qui faisons-nous communauté ? Nous savons très clairement maintenant que le Pape nous appelle à aller vers "la périphérie": toutes les personnes qui sont en situation de marginalisation en raison de leur pauvreté ou de leurs différences (migrants, autres religions, handicap...). Il s'agit de nous laisser déplacer vers cette périphérie, bien au-delà d'une attitude d'assistance ou de tolérance.
Troisième pilier: tout est fragile.
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Constat: Toute ce qui existe est appelé à disparaître et toute vie en premier lieu. Mais l'homme fragilise lui-même tout ce qu'il touche. Les forêts disparaissent et l'humanité crie famine. On peut lire dans Laudato Si’: « Ecouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres » .
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Conversion écologique: Cette fragilité est une invitation à être créatif et enthousiaste. Il existe un lien entre fragilité et créativité. Ce que l'on produit a été anticipé par des calculs: c'est la production. La création, elle, n'a pas de plan. Ainsi la fragilité nous permet de nous sentir créateur.
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Evangelii Gaudium disait « Le temps est supérieur à l’espace ». Il vaut mieux initier des processus que de posséder des espaces. On peut s'approprier l'espace mais pas le temps qui nous met en marche vers un avenir à construire et que l'on ne connaît pas encore. La fragilité permet alors d'initier ces processus. Faisant référence à l'exhortation sur la famille Amoris laetitia, la conférencière explique que la famille se construit au cours des situations, parfois dramatiques, qu'elle traverse. C'est comme aller vers une Terre Promise, un lieu que l'on ne connaît pas.
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La question société et Eglise: Comment célébrons-nous ? La vie a besoin d'être célébrée. Mais nous le faisons avec des codes qui nous isolent et rendent inintelligible le message évangélique pour ceux qui sont en dehors de l'Eglise. Quel est notre langage pour célébrer ? Cette question vaut également sur un plan anthropologique, car on a perdu le sens du symbolique, or la vie est au-delà de ce que nous vivons. Il faut revisiter nos signes, nos célébrations, nos habitudes.