… Elle était donc là, cette rentrée de l'année 53. Les premières fraîcheurs l'avaient accompagnée, sans surprendre pour cela les petites troupes joyeuses retrouvant ici et là leur chère école, arborant non sans quelque fierté, tabliers et cartables.
Cette nouvelle année, a bien des égards, allait bouleverser chez moi, ce qui était apparu comme l'ordre habituel des choses, une routine bien installée héritée de notre très studieux Cours Complémentaire . Ma nouvelle affectation, les contenus de notre enseignement, le mode de vie estudiantin, sa discipline . Oui, je venais de basculer, sans trop le vérifier encore dans la cour des grands . Et dans la complexité d'une étape nouvelle qui me paraissait avoir été franchie, ce que j'aurais voulu ne considèrer que comme un détail, m'effrayait toujours un peu : l'adaptation à une forme de vie désormais plus partagée, plus responsable, l'internat, où tout pour moi restait à découvrir moi qui venais à peine de m'extraire de toute cette douceur sans doute excessive du cocon familial .
...Premier contact avec ma nouvelle résidence-école, ancien couvent des Barnabites, au pied de la Haute Ville que domine la cathédrale romane de LESCAR . Un établissement forcément vieillot et dont la façade Sud offrait en contemplation au visiteur, l'admirable chaîne des Pyrénées à laquelle les premières neiges de l'automne rendaient pour de longs mois leur étincelant costume d'apparat .
Deux immenses dortoirs, une literie, des sanitaires sommaires, un chauffage confortable . Les quatre promotions (au total 75 élèves) se partagaient les deux étages comme suit : Le premier réservé aux années studieuses des baccalauréats . L'étage supérieur réunissait la classe de seconde, la mienne donc, débarrassée de tout souci d'examen, et la promotion des 4ème Année, en immersion totale dans un univers de formation, de classes appliquées, de leçons modèle, de contrôles, d'échanges et dont la somme constituait une base solide permettant de faire face aux premières difficultés de la profession . Cette promiscuité entre les deux promotions extrêmes n'était pas sans risques pour les nouveaux arrivants exposés aux désagréments du bizutage, tradition imbécile qui sévissait généralement jusqu'aux vacances de Noël, sans fournir pour cela la preuve qu'elle contribuait à améliorer de façon substantielle la qualité de notre enseignement …
S'il est un homme qui aura durablement marqué mon passage à l'Ecole Normale, c'est bien notre directeur, Mr BERTHOUL . Cet auvergnat tout en rondeur qui évoquait parfois « sa bonne vieille ville de BRIOUDE » quand certains parmi nous s'élevaient avec une passion qu'il trouvait excessive, contre la rigueur de nos hivers pyrénéens . Il avait alors un demi sourire et une manière très personnelle de mettre un point final a notre discussion . J'aimais chez cet homme, la simplicité du contact, la qualité des rapports qu'avec chacun de nous il entretenait, le souci qu'il gardait, de contribuer à la réussite de cette mission qui allait nous être confiée . Il lui arrivait aussi d'élever brutalement la voix, évoquant son passé militaire, « la section, qu'en son temps, il avait conduite au feu » . Notre silence alors, très respectueux, lui laissait entendre combien nous regrettions nos manquements passagers à la très grande confiance que toujours il nous témoignait . Souvent le dimanche en soirée, percevant autour de nos classes une agitation discrète ponctuant le bilan qu'à quelques uns, de notre journée, nous avions dressé, il s'introduisait dans le débat, géréralement sportif et, à sa manière toujours, dans ce langage imagé qu'il affectionnait, il se serait interrogé : « alors, p'tit choses, vous avez encore encouragé ces brutes courant derrière un ballon au milieu de la prairie ? » … Plus tard, oh oui, trente ans plus tard, je venais de prendre dans ma ville des responsabilités qui me valaient quelques soucis, j'eus l'agréable surprise de l'entendre, au téléphone, se rappelant à mon bon souvenir, et m'adressant quelques mots d'encouragements et de soutien, avec ses souhaits très chers de réussite dans mes nouvelles fonctions .
Dans mes deux dernières contributions au lien hebdomadaire mis en place par la paroisse, j'ai souhaité évoquer (ou survoler) un moment essentiel de ma vie étudiante . Si j'osais, je lui donnerais ce prolongement qui a marqué fortement la période qui aura suivi et toute une génération à laquelle j'ai appartenu : mon service militaire et la Guerre d'Algérie .
Raphaël Lassallette