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Regarder, discerner, transformer
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| Journal La Croix 6335 mots

Regarder, discerner, transformer

Pourquoi se faire vacciner ? Raison, liberté, égalité, fraternité

 

Publié le 28 juillet 2021à 11h19

Journal LA CROIX

Trois confinements depuis mars 2020, plus de 111 700 morts dus au Covid-19, des séquelles prolongées chez certaines personnes, des conséquences économiques ou psychologiques dramatiques pour d’autres, une quatrième vague prévisible de contaminations due au variant Delta, des résistances déterminées à la vaccination et aux dispositifs sanitaires et politiques de limitation de la transmission. Dans ces conditions, comment évaluer éthiquement la décision du Président de la République et la ratification parlementaire de la création d’un « passe sanitaire » en attente de la décision du Conseil Constitutionnel, le 5 août 2021 ?

Faut-il s’alarmer d’une « dictature sanitaire », d’une « société de l’hygiénisme sécuritaire », d’une « vraie rupture historique pour notre modèle de société » (F.-X. Bellamy), d’une disproportion avérée entre la restriction des libertés individuelles fondamentales et la dangerosité du virus qui la justifie, d’une dérive autoritariste qui empêcherait progressivement la levée des restrictions temporaires à nos libertés fondamentales, d’une exploitation non régulée des données personnelles après l’ouverture de cette brèche ?

Faut-il soutenir la défiance croissante envers toutes les institutions scientifiques, sanitaires, politiques qui tentent, avec la certitude de l’efficacité vaccinale et devant les difficultés des contestations peu accessibles au débat raisonné, de tracer un chemin pour éviter à la fois un désastre sanitaire, un effondrement économique et un discrédit politique ?

Faut-il considérer les scientifiques contestataires de l’utilité du vaccin et dénonciateurs de sa dangerosité insoupçonnée (Pr Montagnier, Pr Perronne, Pr Joyeux, Dr Alexandra Henrion-Caude, etc.) comme des éveilleurs lucides ou comme des personnalités qui usent parfois de leur autorité pour se dispenser des critères requis pour la validation scientifique ?

Parmi les citoyens, les chrétiens pourraient-ils faire entendre une voix commune grâce à leurs ressources spirituelles et éthiques ou sont-ils eux-mêmes voués à se diviser irrémédiablement entre dénonciateurs et promoteurs, entre alarmistes et optimistes, entre complotistes et légitimistes, entre défenseurs des libertés et promoteurs de la fraternité ? Comment pourraient-ils s’aider à résister aux puissances incontrôlées des émotions et de la peur ? Comment pourraient-ils, avec d’autres, prendre position de façon raisonnée en évitant les extrêmes et en contribuant de façon critique et argumentée au bien commun ?

La question fondamentale, qui reprend ces questions et qui a été l’objet des débats sur le Projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire, déposé le mardi 20 juillet 2021 et voté définitivement le 25 juillet 2021, pourrait s’énoncer ainsi : au regard des connaissances scientifiques et de l’évaluation politique de la situation sanitaire, sociale et économique, dans quelles mesures est-il légitime au niveau éthique et au niveau juridique de restreindre temporairement certaines libertés individuelles fondamentales en instaurant un « passe sanitaire » ?

Une double exigence de raison et de discernement éthique s’impose.

Une exigence de raison

L’exigence des arguments scientifiques et médicaux

Aucune décision éthique et juridique ne peut être prise sans l’examen rigoureux des connaissances scientifiques et médicales disponibles. Il faudrait donc commencer par tenter de répondre rigoureusement à de nombreuses questions. Quel est le mode de propagation du virus et de ses variants ? Quelle est l’efficacité du vaccin ? Quels sont les effets indésirables connus à court terme et prévisibles à long terme ? Y a-t-il des raisons de craindre des risques majeurs à long terme ? Quelle est la balance bénéfices/risques pour soi et pour les autres ? Quelles sont les personnes à vacciner en priorité ? Quels sont les critères connus pour ne pas vacciner certaines personnes qui présentent des risques à la vaccination ? Comment analyser les différentes statistiques disponibles ? Comment évaluer les différents modèles mathématiques de propagation du virus et de ses variants ? Le vaccin à ARNm peut-il modifier l’ADN des personnes vaccinées, diminuer leur fécondité, transmettre des modifications génétiques à leur descendance ? etc.

Parmi ces questions, certaines reçoivent une réponse très précise et d’autres moins. Il convient alors souvent d’ajouter, comme le font les scientifiques : « dans l’état actuel des connaissances disponibles ». En effet, les sciences et la médecine sont conscientes des limites de leurs connaissances et du degré de certitude de leurs affirmations.

Comme les réponses pseudo-scientifiques abondent, même au pays qui a vu naître Descartes, comme la peur et l’angoisse perturbent le travail de la raison, plusieurs journaux ont créé de façon judicieuse une rubrique spéciale pour déceler les « fake news » et démêler le vrai du faux dans toutes critiques, dénonciations et parfois prédictions catastrophistes de certains influenceurs qui se prétendent parfois les meilleurs connaisseurs. Ces journaux offrent un service précieux pour relayer dans le grand public les rapports et les études du CNRS, de l’INSERM, des centres de recherche et des sociétés savantes, des Académies des sciences et de médecine. Plus que jamais, la culture scientifique a besoin d’être promue dans toute la société.

Aussi, il est regrettable que le temps de confinement n’ait pas été l’occasion de la diffusion de connaissances scientifiques et médicales aux heures de grande écoute et de la vérification argumentée d’affirmations défendues par des personnalités controversées. La vérité d’une affirmation scientifique ne provient pas de la force de conviction de la personne ou du groupe qui l’énonce, ni de ses croyances ni du nombre d’adhérents ni d’un pouvoir politique majoritaire ni, à l’inverse, d’un statut politique minoritaire qui serait retourné en preuve du mensonge des dominants. Il devient urgent de remettre la rigueur de la formation et de l’information scientifiques au menu des programmes de télévision et de radio. Il devient également nécessaire de revaloriser la place de la raison dans les trois monothéismes qui ont pourtant, sur ce point précis, une longue tradition commune. Le virus n’est pas un objet de foi ou de croyance mais de science. Il n’est pas d’abord un catalyseur des insatisfactions multiples de la société mais un agent infectieux à combattre par les meilleurs moyens médicaux disponibles.

Plus que tous, instruits par une tradition qui valorise les connaissances scientifiques, la distinction entre l’ordre de la science et l’ordre de la foi, la rigueur méthodologique dans l’interprétation des Écritures, la relation entre la raison et la foi, les catholiques devraient être particulièrement éveillés à la nécessité du travail exigeant de la raison, de la mise en œuvre des procédures rigoureuses de validation scientifique, et de la logique du raisonnement. En théologie catholique, ne pas respecter le travail de la raison, c’est ne pas respecter le don du Créateur qui, dans le langage de Thomas d’Aquin, nous rend participant de sa propre raison et de sa sagesse. Sans respect du travail de la raison, il n’y a pas non plus d’universel possible. La raison ne s’accommode pas d’un christianisme d’archipels ou d’une société d’îlots.

Aucune personne, a fortiori catholique, ne peut avancer durablement des affirmations à prétention scientifique qui sont contredites par les procédures de vérifications scientifiques. Ainsi, même en intégrant, dans le cas de certaines maladies, l’effet placebo ou le rôle positif de la confiance, l’efficacité d’un médicament ou d’un vaccin ne peut reposer sur une simple croyance ou sur la seule autorité du prescripteur ou sur la seule force de conviction. L’argument d’autorité ne suffit pas à valider un argument scientifique. L’appartenance politique ou religieuse n’est pas un critère de validité scientifique. Il n’y a donc pas à prendre parti pour ou contre tel professeur en fonction de ce qu’il représente subjectivement (par exemple un professeur qui serait croyant ou membre de tel parti politique ou défenseur de tel modèle de société) ou de ses succès scientifiques antérieurs (Pr Montagnier). La question est seulement de savoir si ses affirmations peuvent être vérifiées par les procédures scientifiques mises en œuvre de façon critique par la communauté scientifique.

Du point de vue catholique honorant le travail de la raison, il est donc extrêmement problématique de se prétendre juge des procédures scientifiques sans souscrire à leur rigueur et à leurs exigences. Comment certains catholiques pourraient-ils, par exemple, soutenir des discours qui prétendent que le vaccin inocule des nanoparticules qui vont se diffuser dans le cerveau et être pilotées de l’extérieur par la nouvelle technique de la 5G afin de prendre possession des personnes ? Il ne faudrait pas confondre la science et la science-fiction ! Si certains catholiques soutiennent encore ce genre d’affirmations, il serait pourtant erroné d’accuser la religion chrétienne d’encourager des propos « moyenâgeux », il serait erroné d’opposer une nouvelle fois la science et la religion. La prolifération de ce type de croyances est plutôt l’indicateur du besoin d’une sérieuse formation religieuse capable d’honorer, comme il se doit, le travail de la raison.

Dans l’état actuel des connaissances scientifiques et médicales, il est possible d’être contre le « passe sanitaire » au nom de sa propre liberté – ce qui pose la question seconde du caractère éthique de son choix – mais pas au nom de la science en dénigrant l’efficacité du vaccin, ou en protestant de sa dangerosité de façon générale. Sur plus de 3,5 milliards de doses injectées, il y a, certes, des accidents de vaccination dont il faut cerner les causes pour déconseiller la vaccination de certains profils médicaux ; il y a, certes, des personnes vaccinées qui sont pourtant atteintes – et de façon moindre – parce que l’efficacité du vaccin n’est pas de 100%. Mais cet argument ne peut suffire à rejeter l’efficacité globale du vaccin.

Dans l’état actuel des connaissances scientifiques et médicales, il n’est pas possible non plus de soutenir que le vaccin à ARNm conduise à une modification de l’ADN. La transcription se fait habituellement de l’ADN vers l’ARN. Y a-t-il possibilité d’une rétro-transcription ? Les arguments scientifiques avancés en ce sens par le professeur Perronne ont été contredits par d’autres scientifiques. Dans un entretien à l’Académie des Sciences le Professeur Fischer mentionne que « L’ARN messager ne pénètre pas dans le noyau donc il n’y a pas de risque de modification du génome cellulaire ». Reconnaissant le risque théorique d’induire une réponse auto-immune directement via les ARNm, il précise : « C’est un point de surveillance sur toutes les plateformes. Il n’y a eu aucune alerte à ce jour, alors que quelque 25 millions de personnes dans le monde ont reçu ce vaccin. » Il souligne encore fortement que cette technique n’est pas nouvelle : « […] il faut vraiment insister sur le fait que ces vaccins ne sont pas nouveaux : ils sont utilisés en immunothérapie des cancers depuis plusieurs années sans effets secondaires notables ». La vigilance s’impose mais pas le déni des connaissances acquises.

Il est encore impossible de suspecter la vaccination d’être responsable de la création des mutations du virus. Un virus est caractérisé par son adaptabilité qui résulte d’incessantes mutations sélectionnées en fonction de leurs capacités à déjouer la défense des organismes infectés. Par ailleurs, certains variants ont été détectés dans des zones où la vaccination n’avait pas encore eu lieu, comme le variant Delta en Inde. Ce variant ne peut donc avoir été produit par la vaccination.

Enfin, l’interprétation des statistiques des personnes symptomatiques doit également être menée avec rigueur. En effet, comme le souligne une note de la DREES, « Les décisions de se faire tester ne sont pas de même nature lorsque les personnes sont vaccinées ou non ». La note précise que « la mise en place du pass sanitaire devrait conduire des personnes non vaccinées (en grandes majorité non symptomatiques) à se faire tester pour des motifs non sanitaires (trajets, loisirs, etc.), alors que les personnes complètement vaccinées ne sont pas dans ce cas ».

L’exigence de la décision politique raisonnée

La science dicte-t-elle seule les décisions comme l’ont soutenu certains en pointant le risque d’une « dictature sanitaire » organisée par un collège de scientifiques auxquels le pouvoir politique serait inféodé en masquant ainsi son incapacité à exercer sa responsabilité politique ?

Ce ne peut être le cas pour toutes les prévisions où les scientifiques ne peuvent se prononcer de manière certaine. Par exemple, il est difficile d’avoir une certitude sur l’évolution des contaminations et des décès par le variant Delta dans deux mois. Les modèles mathématiques offrent précisément des prévisions et non des certitudes. Dans ce cas, il faut donc décider en prenant un risque médical et un risque politique. Comme dans toutes les politiques de santé publique, il faut courir le risque d’en faire trop ou pas assez. Il est facile, après coup, de montrer que l’on avait raison ou de se taire dans le cas contraire.

Même dans le cas où les données épidémiologiques sont certaines, il n’y a pas non plus, à ce stade, de risque d’inféodation à un pouvoir scientifique et médical, car la décision politique doit toujours tenir compte de facteurs psychologiques, pédagogiques, sociaux et économiques afin d’être la plus appropriée. Ainsi, les décisions politiques françaises récentes se sont affranchies à plusieurs reprises de l’avis du comité scientifique installé pourtant par le pouvoir politique. Il serait donc abusif de parler d’une « dictature sanitaire » pilotée par quelques médecins et scientifiques.

De plus, le cadre juridique d’un État de droit est maintenu. Les parlementaires gardent le pouvoir de discuter de l’opportunité et de la durée de l’état d’urgence qui justifie des mesures rapides et exceptionnelles, et de lancer des commissions d’enquêtes en cas de dysfonctionnements majeurs. Dans le texte de la commission mixte paritaire voté par les députés et sénateurs, l’état d’urgence est limité « dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid‑19 » jusqu’au 15 novembre 2021. Il serait donc encore abusif de parler d’un « risque de dictature sanitaire » en affirmant que le pouvoir politique instrumentalise habilement les scientifiques et médecins pour instaurer progressivement une dictature. D’ailleurs, les députés ne semblent pas s’en alarmer puisque – hélas ! – seulement 40% d’entre eux étaient présents pour le vote final du texte de loi. Comme pour les élections régionales, la faible participation au vote questionne les engagements démocratiques des citoyens mais les alarmes répétées par certains d’une « fin de la démocratie » relèvent plus de la rhétorique que de la réalité.

Certes, la rhétorique politique peut s’accommoder de certaines outrances du langage ; certes, les ambitions politiques peuvent toujours rêver de catalyser à leur profit des mécontentements et des frustrations très disparates, mais les débats politiques en situation d’urgence requièrent notamment l’argumentation en raison et la visée du bien commun. L’enjeu collectif du bien commun rend quelque peu ridicule le décompte des gagnants et des perdants sur l’échiquier politique.

Dans ce contexte, après avoir insisté sur le travail de la raison, quels sont les autres éléments à considérer pour prendre une décision éthique ?

Éléments pour un discernement éthique

Évaluation éthique de l’élaboration du vaccin

De façon spécifique pour les catholiques, l’évaluation éthique du vaccin a été pendant des mois un obstacle important jusqu’à ce que la Congrégation pour la doctrine de la foi se prononce clairement sur le sujet en décembre 2020.

En effet, le développement, la production et les tests de certains vaccins ont été parfois réalisés en utilisant des lignées de cellules somatiques prélevées des années auparavant sur des fœtus avortés. Le problème éthique est alors celui du degré de coopération à un mal (avortement) en utilisant un produit dont la finalité et les effets sont bons (vaccins). A quelles conditions devient-il licite d’utiliser un vaccin aux effets bénéfiques en coopérant à un mal qui a permis son élaboration ?

La tradition théologique a développé une analyse des degrés de coopération au mal en distinguant différents critères de coopération : formelle/matérielle, active/passive, prochaine/lointaine. La coopération matérielle consiste à ne pas s’associer à l’intention et au geste moralement condamnable (avortement) mais à profiter, dans certaines conditions, de l’effet bon. La coopération passive consiste à ne pas participer activement à l’acte mauvais. La coopération lointaine ou médiate introduit un temps long entre l’acte mauvais et la recherche de l’effet bon. L’acte mauvais ne peut donc être justifié directement par l’acte bon. En reprenant cette tradition dans un contexte de danger grave qui permet de qualifier autrement les actes, la Congrégation pour la doctrine de la foi conclut alors :

« 3. La raison fondamentale pour considérer l’utilisation de ces vaccins comme moralement licite est que le type de coopération au mal (coopération matérielle passive) de l’avortement provoqué duquel proviennent les mêmes lignées cellulaires, de la part de celui qui utilise les vaccins qui en dérivent, est éloignée. Le devoir moral d’éviter une telle coopération matérielle passive n’est pas contraignant s’il existe un danger grave, comme la propagation autrement incontrôlable d’un grave agent pathogène : dans le présent cas, la propagation pandémique du virus SARS-CoV-2 qui provoque la Covid-19. Il faut donc considérer que, dans un tel cas, toutes les vaccinations reconnues comme cliniquement sûres et efficaces peuvent être utilisées, avec la conscience certaine que le recours à de tels vaccins ne signifie pas une coopération formelle à l’avortement duquel dérivent les cellules avec lesquelles les vaccins ont été produits. »

Bien entendu, la Congrégation pour la doctrine de la foi rappelle que l’utilisation temporaire de ces vaccins n’est aucunement une légitimation de leur mode d’élaboration.

« Il convient toutefois de souligner que l’utilisation moralement licite de ces types de vaccins, en raison des conditions particulières qui la rendent telle, ne peut constituer en soi une légitimation, même indirecte, de la pratique de l’avortement, et présuppose une opposition à cette pratique de la part de ceux qui y ont recours. »

Après cet avis magistériel, les catholiques ne pourront donc pas prétexter de cet obstacle éthique pour s’opposer au vaccin et donc au « passe sanitaire ».

Qualité du dialogue démocratique

Le second élément éthique pour un discernement de la légitimité du « passe sanitaire » est celui de la qualité du dialogue démocratique, une exigence adressée à tous les citoyens et particulièrement à celles et ceux qui les représentent. Dans un régime démocratique, nul ne peut en être dispensé au nom de ses croyances ou de sa vision du monde.

Ce dialogue ne peut pas se limiter à un besoin de se faire entendre ou de défendre ses intérêts : il doit être animé par l’ambition de contribuer de façon raisonnée au bien commun, c’est-à-dire le bien du « nous tous ». Seule la visée du bien commun permet de qualifier adéquatement les mesures de restrictions, des mesures qui sont à prendre nécessairement par les responsables politiques en cas de pandémie ou en cas d’autres menaces urgentes parce que les citoyens leur ont librement et démocratiquement confié cette mission.

Cette visée du bien commun en situation d’urgence permet de légitimer l’urgence d’une décision commune même si l’on déplore, comme l’on fait beaucoup de députés au début des débats parlementaires, une insuffisance de temps pour débattre du bien-fondé du « passe sanitaire » ou de ses conditions d’application. Elle permet aussi de comprendre en quoi le « passe sanitaire » est une mesure de compromis entre l’obligation pour tous et la liberté de vaccination pour tous. Il peut alors apparaître étrange que les partis politiques défendant l’obligation pour tous soient prêts à empêcher le vote d’une loi de compromis, et donc à souscrire à une protection minimale, plutôt qu’à favoriser une obligation relative conduisant progressivement une majorité de citoyens initialement récalcitrants à se faire vacciner.

Proportionnalité de l’atteinte aux libertés fondamentales et exigence de fraternité

Le troisième élément du discernement éthique est sans doute le plus mobilisé par les opposants : la liberté. La question n’est pourtant pas de savoir si l’on peut restreindre les libertés individuelles. En effet, toutes les lois le font par définition et certains vaccins sont déjà obligatoires. La question est de savoir si les mesures qui sont prises pour restreindre certaines libertés fondamentales sont proportionnées à la gravité de la situation au nom même de la solidarité imposée à tous par la pandémie et au nom même de l’idéal de la fraternité de la République, qui conduit à se soucier de la santé publique. En effet, la liberté est indissociable, selon la devise de la République, de l’égalité et de la fraternité.

La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 stipule, en son article 4 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. ». La santé publique est un motif valable, en cas de situation grave comme une pandémie, pour restreindre de façon contrôlée et temporaire les libertés fondamentales. Le rôle des députés est alors, précisément, d’analyser la proportionnalité de la restriction et sa durée.

Il peut alors apparaître étrange que les partis politiques défendant régulièrement la solidarité et que les chrétiens valorisant nécessairement la fraternité s’accrochent à la défense des libertés fondamentales au point d’occulter largement, dans leurs raisonnements et leurs décisions, le devoir de fraternité qu’impose la pandémie.

A ceux qui valorisent les Droits de l’Homme, il faudrait rappeler le devoir de fraternité mentionné dans l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

A ceux qui défendent les héritages chrétiens des valeurs des sociétés occidentales, il faudrait rappeler que c’est la communauté chrétienne qui invente le concept de fraternité et qui en fait, des Pères de l’Église jusqu’à aujourd’hui, une référence majeure pour l’éthique et le politique. Le Concile Vatican II ne fait que rappeler cet héritage quand il formule l’ambition de l’Église d’offrir une « collaboration à l’instauration d’une fraternité universelle ». Il est alors quelque peu surprenant que certains courants catholiques traditionnels placent « la liberté de conscience » comme premier obstacle au « passe sanitaire » alors qu’ils la dénigrent le plus souvent dans les raisonnements éthiques et que l’expression technique « liberté de conscience » ne fait même pas partie de l’enseignement de Vatican II qui parle seulement de « liberté de religion ». Plus gravement, ils négligent l’enseignement de Thomas d’Aquin qui précise que, quand bien même il faut suivre sa conscience même si elle est erronée, la conscience erronée n’excuse pas dans la mesure où elle se trompe volontairement « par une erreur portant sur ce que l’on est tenu de connaître » ou lorsque « l’erreur provient de l’ignorance de la loi de Dieu, qu’on est tenu de connaître ». L’exigence de l’amour du prochain et de la fraternité n’est-elle pas ce qu’un chrétien est tenu de connaître ? Il faudrait interroger cette exaltation opportuniste, sélective et partiale de la liberté de conscience en la mettant en lien avec une tendance croissante chez les catholiques, même traditionnels, à n’obéir qu’à certaines directives d’un magistère que l’on choisit soi-même dans l’histoire.

Ce n’est pas d’abord l’État qui restreint les libertés, c’est le virus en fonction de sa dangerosité et de sa transmissibilité. La pandémie fait de la solidarité une contrainte ; il nous revient de la transformer en une réaffirmation d’une ambition sociale et politique de fraternité. De ce point de vue, le « passe sanitaire » pourrait être une occasion de transformer une limitation juridique contraignante en une manifestation de cette ambition de fraternité vécue librement et généreusement. Ce serait une manière de changer la qualification anxieuse et inexacte de « vraie rupture historique pour notre modèle de société ».

Si la contrainte juridique est parfois nécessaire, elle ne remplacera jamais la décision éthique personnelle. Les dénonciations d’égoïsme, d’obscurantisme et de complotisme ne font souvent que braquer les personnes et les renforcer dans leurs convictions même si la plupart d’entre elles obéissent finalement par contrainte à la loi juridique. Peut-être pourrions-nous commencer par regarder quelles contraintes, limitations, restrictions et dépendances nous acceptons pour les personnes que nous aimons. Plus l’amour est grand plus les restrictions initialement pesantes peuvent être non seulement supportées mais portées. Sommes-nous prêts, alors que le vaccin est efficace et que les nuisances à notre santé personnelle ne sont généralement pas fondées, à porter atteinte à la vie des personnes que nous aimons en vivant avec elles ou en leur rendant visite ? Sommes-nous prêts à ne plus leur rendre visite en les laissant ainsi à leur solitude afin de protéger notre propre santé ? Le devoir de fraternité élargit ce raisonnement de proches en proches.

Une décision source d’inégalités ?

Le quatrième élément pour le discernement éthique est l’égalité. Certains critiques ont mis l’accent sur l’inégalité en arguant qu’un vaccin non-obligatoire mais exigé pour de nombreuses interactions sociales (travail, école, culture, restauration, transports, etc.) allait renforcer les exclusions et faire grandir les inégalités. Qu’en sera-t-il des personnes les plus pauvres, de celles qui sont éloignées des services publics, de celles qui ne peuvent bénéficier de l’information et des services numériques, de celles qui seraient privées de visite à l’hôpital ? Dès lors, ne vaudrait-il pas mieux, face à ce risque et pour plus de justice, imposer clairement l’obligation vaccinale pour tous ?

Pour être effective, l’obligation vaccinale devrait être assortie d’un ensemble de mesures très lourdes en termes de contraintes juridiques et logistiques : convocation à la mairie ? procès-verbal et amendes ? intrusion au domicile pour les récalcitrants avec un policier et un médecin ? Et comment sillonner les habitats très dispersés ? L’ambition égalitaire est nourrie par de possibles difficultés qui ne tiennent pas à la vaccination mais, de façon générale, à l’accès aux soins et à la culture.

Le pari de la loi actuelle est de commencer par une contrainte incitative (pour pouvoir faire telle chose, je suis contraint d’être vacciné) avant une possible contrainte absolue (dans tous les cas, je suis contraint d’être vacciné). Cette décision paraît la plus sage à condition de continuer à privilégier et solliciter les personnes les plus fragiles. Le risque majeur serait de se reposer rapidement sur le nombre de personnes vaccinées comme gage d’une évolution générale positive et d’exposer alors les personnes les plus fragiles et non encore vaccinées à plus de danger. Il faudrait donc continuer à rappeler que le vaccin n’est pas efficace à 100%, qu’il n’empêche pas la transmission du virus, et qu’il ne nous délivre pas des mesures sanitaires élémentaires : lavage des mains, aération des locaux, port du masque dans les rassemblements denses.

La Défenseure des droits avertit avec prudence des « risques considérables d’atteinte aux droits de l’enfant. » Les enfants n’ont pas à subir publiquement de discrimination en fonction des choix éthiques ou politiques de leurs parents et il serait approprié de faire d’abord preuve de pédagogie dans les relations avec les parents, au besoin en utilisant des médiateurs. Selon la loi, « Cette réglementation est applicable aux mineurs de plus de douze ans à compter du 30 septembre 2021 ». La date laisse du temps pour l’adaptation et la pédagogie en cas de conflits.

La protection des données personnelles

Le cinquième élément éthique est celui de la protection des données personnelles de santé. Le « passe sanitaire » est moins intrusif que l’application TousAntiCovid utilisée pour tracer les contacts à risque. En effet, la loi exige que la présentation d’une attestation papier ou numérique soit « réalisée sous une forme permettant seulement aux personnes ou aux services autorisés à en assurer le contrôle de connaître les données strictement nécessaires à l’exercice de leur contrôle. » et « ne s’accompagne d’une présentation de documents officiels d’identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l’ordre ».

Rien de ne permet de dire que des données vont être collectées et mémorisées pour retracer nos fréquentations de lieux, d’établissements ou de rassemblements. Il faut également rappeler que la fréquentation des lieux de culte n’est pas soumise au « passe sanitaire ».

Remarques sur quelques prises de position catholiques

Il me semble important, pour finir, de faire quelques remarques sur certaines prises de position catholiques qui conditionnent la réponse à l’acceptation éthique de la vaccination.

La place de la prière et des sacrements

Après la levée des contraintes pesant sur les cultes, les questions relatives à la prière et la place des sacrements sont devenues moins polémiques mais elles n’ont pas toutes reçu de réponses faisant consensus.

De façon générale il faudrait écarter les compréhensions magiques de la prière et du sacrement de l’eucharistie. Ce serait tenter Dieu d’invoquer la foi pour déroger fièrement aux lois de la biologie. Nous pouvons continuer à demander avec insistance à Dieu « délivre-nous du mal » tout en faisait tout ce qui est au pouvoir de notre raison pour combattre les maladies par les moyens de la science et de la médecine. Le pape Jean-Paul II n’a cessé de rappeler la place privilégiée de la médecine dans l’histoire de l’Église :

« 3. Depuis l’origine, l’Église a toujours regardé la médecine comme un soutien important de sa propre mission rédemptrice à l’égard de l’homme. Des très anciens hospices pour étrangers aux premiers complexes hospitaliers et jusqu’à nos jours, le ministère du témoignage chrétien est allé de concert avec ce qui est sa sollicitude à l’égard des malades. »

Si la médecine a une telle importance dans l’histoire de l’Église, c’est que la prière de guérison n’est pas magique comme le rappelait l’Académie pontificale pour la vie dans un beau texte intitulé Pandémie et fraternité universelle :

« Souvenons-nous des mots prononcés par Mgr Francesco Beschi, l’évêque de Bergame, une des villes les plus touchées en Italie : « Nos prières ne sont pas des formules magiques. La foi en Dieu ne résout pas magiquement nos problèmes, mais elle nous donne plutôt une force intérieure pour exercer cet engagement que tous et chacun d’entre nous, selon les façons les plus disparates, nous sommes appelés à vivre, et en particulier chez ceux qui sont appelés à endiguer et à vaincre ce mal».

De même, ce serait avoir une conception magique du sacrement de l’eucharistie de penser que les mains du prêtre ne peuvent contaminer ou que la transsubstantiation élimine toute possibilité que le pain consacré soit lui-même agent de contamination.

La liberté de culte

Certains chrétiens, philosophes d’une belle pertinence, peuvent se laisser aller à des propos théologiques qui ne me paraissent pas adaptés à la situation. Le philosophe Martin Steffens s’interroge ainsi récemment :

« Y a-t-il un lien entre l’euthanasie et la production des bébés en laboratoire, d’une part, et la loi sécurité globale ou le pass sanitaire, de l’autre ? Ce lien est peut-être dans le refus catégorique de la grâce, de l’imprévu, de tout ce qui naît d’une rencontre. […] Ce refus de la grâce, que Jean Baudrillard nommait la prophylaxie, ce refus de ce qui déborde l’homme et ses petits projets, c’est le refus de Dieu, c’est, à court terme, son interdiction ici-bas. Les cultes pourront bien continuer un peu. Mais dès lors qu’ils pourraient être conditionnés par un pass sanitaire, ils n’auront plus de sens. »

Il serait d’abord possible de s’interroger sur la justesse de l’opération intellectuelle cherchant une cause spirituelle commune à des choix de bioéthique et d’éthique sociale, qui ne se situent pas sur le même plan. De plus, il me semble difficile d’admettre que l’instauration d’un « passe sanitaire » puisse signifier un refus de la grâce, un refus de l’imprévu de toute rencontre. Faudrait-il alors supprimer les vaccins obligatoires pour les nourrissons et les patrouilles de police dans le métro parce qu’ils privent de l’imprévu des rencontres contaminantes ou violentes ? N’est-ce pas faire preuve de respect et de délicatesse de rendre visite à ses proches sans les menacer d’une maladie contagieuse prévisible et identifiée ? N’est-ce pas d’abord un souci éthique avant d’être une contrainte juridique ? En quoi le « passe sanitaire », justifié par la fraternité et le soin du « plus petit » conformément à la perspective mystique de la « parabole du jugement dernier », pourrait-il signifier un « refus de la grâce » ? Ne pourrait-il pas être lu aussi, dans son principe éthique, comme un effet de la grâce indissociable d’un souci d’autrui, d’une préoccupation de son bien tout à la fois corporel, psychologique et spirituel ? En quoi un tel dispositif de contrôle de sa propre dangerosité qui, pour tous, devrait être éthique avant d’être juridique, pourrait-il conduire à l’interdiction de Dieu ici-bas ? Quels risques entrevus pourraient-ils justifier un tel emportement théologique ? La question de la liberté de culte ?

Il n’a pas été question d’appliquer le « passe sanitaire » à l’entrée des lieux de culte non seulement parce que le culte est une liberté fondamentale réaffirmée par le Conseil d’État mais surtout parce qu’il n’est pas apparu que les cultes, dans les dispositions actuelles, étaient des lieux attestés de fortes contaminations. Le « passe sanitaire » n’était donc pas, lors du premier référé, une mesure proportionnée pour les limiter. Le juge des référés du Conseil d’État, statuant le 18 mai 2020 précisait bien que « l’interdiction générale et absolue imposée par le III de l’article 10 du décret contesté, […], présente, en l’état de l’instruction, un caractère disproportionné au regard de l’objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette dernière. » Le Conseil d’État affirme constamment le principe qui guide le raisonnement juridique : « La liberté du culte présente le caractère d’une liberté fondamentale. […] La liberté du culte doit, cependant, être conciliée avec l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. » Le devoir de cette conciliation parfois difficile et conflictuelle est aussi justifié du point de vue de la théologie morale.

En effet, s’il apparaissait que les cultes étaient des lieux de fortes contaminations, ce serait aux responsables des cultes de devancer en conscience le pouvoir politique en organisant eux-mêmes la limitation de la participation aux personnes vaccinées. L’acte liturgique où Dieu se donne dans la chair du Ressuscité pour que nous ayons sa vie éternelle ne peut-être en même temps l’acte où la mort terrestre est directement et consciemment transmise à notre chair mortelle. Le sacrement cesserait de signifier de façon cohérente le salut. Dans ce cas de contaminations fortes dans les lieux de cultes, il appartiendrait aussi aux participants à la liturgie de s’interroger : « Puis-je aller communier avec la certitude de rompre la communion fraternelle puisque mon geste pourrait très probablement porter atteinte à la vie d’autres participants ? » Le raisonnement théologique de Martin Steffens me paraît erroné parce qu’il inverse la responsabilité éthique et confond, avec une analogie douteuse, le signe exceptionnel qu’est le miracle avec une pratique médicale : « […] a fortiori, une messe avec pass sanitaire, qui exclut ces lépreux que Jésus faisait entrer dans l’histoire du salut, ne serait plus une messe ». Les personnes contaminées ne seraient pas les nouveaux lépreux exclus de l’Église par le « passe sanitaire » alors même que le sacrement pourrait miraculeusement les guérir. Elles n’auraient pas à se sentir exclues car ce serait à elles, en conscience, de prendre les moyens de non-contamination et de guérison par la médecine, alors même que ces moyens leurs sont offerts par la solidarité nationale.

Le devoir de vigilance propre au philosophe ou au théologien ne justifie pas certaines emphases qui, à l’examen, me paraissent peu pertinentes.

La dénonciation de l’idéologie hygiéniste et de la réduction à la « vie nue »

A l’occasion des mesures strictes de confinement prises pendant la pandémie, plusieurs philosophes se référant au christianisme ont dénoncé, à la suite de Giorgio Agamben, la réduction de la vie au biologique, c’est-à-dire la « vie nue », la vie privée de ses formes de vie qui en font une vie spécifiquement humaine. Au début du premier confinement, Giorgo Agamben, constatait ainsi : « La peur fait apparaître bien des choses que l’on feignait de ne pas voir. La première est que notre société ne croit plus à rien d’autre qu’à la vie nue. » Chantal Delsol reprend cette affirmation en dénonçant moins l’absence de proportionnalité de la mesure contraignante du « passe sanitaire » qu’une « idéologie hygiéniste » : « Ce qui est contestable, c’est l’idéologie hygiéniste qui élève le sanitaire au rang de valeur suprême et absolue. »

L’évocation du risque ne manque pas de pertinence mais les souffrances vécues par la privation d’obsèques pour les familles, les puissants désirs de rencontre, et les forces politiques, culturelles et spirituelles de résistance ne font pas défaut pour s’opposer à ce risque de réduction à la « vie nue ». Plutôt que de déplorer ces possibles réductions, il serait bon de pointer les capacités actuelles à valoriser, en contexte de contrainte, toutes les dimensions d’une vie humaine. Il serait bon également de montrer comment le soin de la « vie nue » peut élever cette vie réduite au biologique au niveau d’une vie spécifiquement humaine.

Le philosophe Emmanuel Levinas l’exprimait bien en commentant une sentence du rabbin Israël Salanter : « Les besoins matériels de mon prochain sont des besoins spirituels pour moi » Cette sentence dit bien comment l’acte de soin est un acte spirituel et transforme la relation potentiellement instrumentalisante de la « vie nue » en une relation humaine ou, en termes pauliniens, élève le corps toujours menacé d’être réifié en un « temple du Saint Esprit » (1 Co 6, 19). Le soin adapté et respectueux des personnes est une réponse à la dérive gestionnaire de la « vie nue ». La préoccupation de la santé publique est un bien commun, une recherche éminemment spirituelle et c’est pourquoi la privatisation de la santé ferait courir un grand risque éthique dont doivent se préoccuper aussi les catholiques. Politiquement, il faut donc prendre le Président Macron au mot quand il affirmait lors du premier confinement : « « Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. »

La menace d’une « idéologie hygiéniste » sournoise et toute-puissante ne me semble donc pas, dans le contexte actuel, un critère qui pourrait s’opposer à la création du « passe sanitaire » même si certaines modalités d’application peuvent toujours être critiquées.

***

La question posée dès les premières violences racontées dans la Bible demeure le centre du questionnement éthique : « Où est ton frère ? […] qu’as-tu fait ? » (cf. Gn 4, 9-10). Si, dans certains cas, la raison ne peut vaincre l’obstacle de la peur de la vaccination et l’insupportable des restrictions temporaires du « passe sanitaire », il nous appartient de convoquer les ressources de la fraternité, l’exigence large du « pour autrui » que nous expérimentons tous de façon resserrée dans le cercle privilégié des relations d’amour et d’amitié. S’obliger soi-même, ce n’est pas suivre cette formule des vœux généreux du premier confinement « prenez soin de vous ! » mais ce devoir de fraternité redécouvert à la faveur de la pandémie selon toutes ses acceptions sociales, sanitaires, culturelles, économiques, politiques et spirituelles : « prenons soin les uns des autres ».

P. Bruno Saintôt sj

 

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