Homélie du 23e dimanche du temps ordinaire Année A
La correction fraternelle
Au cours d'une retraite sacerdotale, l'archevêque de Lomé, Monseigneur Nicodème BARRIGAH-BENISSAN, nous raconte ce qui suit :
Un jour, un groupe de prêtres en habits civils se rendit dans un restaurant bien discret pour partager un repas d'amitié. En savourant des mets délicieux arrosés de vin, ces prêtres conversaient à bâtons rompus. L'ambiance était très détendue et la conversation ponctuée de fréquents éclats de rire bien sonores. A la fin du repas, au moment de régler la facture, le garçon de service, qui a suivi tout leur débat en feignant de ne rien entendre, s'approcha d'eux pour leur poser la question de routine :" Comment avez-vous trouvé le repas, Révérends Pères ? "
Totalement surpris d'avoir été reconnus alors qu'ils n'étaient pas en tenus ecclésiastiques, les prêtres l'interrogeaient à leur tour : " Comment as-tu fait pour savoir que nous sommes des prêtres ? " - " Cela est bien simple, reprit le garçon. Il suffit de vous écouter, car seuls des prêtres peuvent critiquer publiquement leur évêque avec autant de plaisir. »
Avouons que bien souvent, nous préférons parler des autres dans leur dos plutôt que de nous adresser directement à eux, lorsque nous avons des griefs contre eux. Sur cette question, les textes de ce dimanche sont d'une déroutante clarté : si ton frère a péché, va le trouver pour lui faire voir sa faute.
Un devoir et une mission
Avant d'être un devoir de charité envers le frère ou la sœur qui s'égare, la correction fraternelle est une "mission" que Dieu lui-même nous confie, les uns à l'égard des autres. Celui qui n'aide pas son frère ou sa sœur à se corriger, dit le prophète Ezéchiel, partage les conséquences de son péché. Aucune excuse n'est admise puisque Dieu nous avertit qu'il nous demandera compte de son sang. Ainsi, rester indifférents au mal commis par un frère ou éviter d'intervenir pour ne pas "avoir d'histoires", c'est nous exposer nous-mêmes à la condamnation.
Remarquons, par ailleurs, qu'il ne s'agit pas forcément de péchés contre nous, mais de toute conduite répréhensible de nos frères. Dieu nous tient pour responsables du salut des autres en nous confiant à leur égard une mission de "guetteurs".
Mais comment procéder ? Comment effectuer la correction fraternelle ? Elle doit se faire avec doigté et humilité en portant le frère dans la prière, répond saint Mathieu, qui regroupe dans l'évangile de ce dimanche une série de consignes données par le Christ sur cette question.
Premier principe : Parler directement au fautif et non derrière lui
Selon une anecdote pleine d'humour, un homme vint un jour trouver Socrate pour lui parler de l'inconduite de l'un de ses amis. Aussitôt, le sage lui demande, avant de raconter les faits, de passer l'information à travers trois tamis : celui de la vérité, celui de la bonté et celui de l'utilité. As-tu contrôlé si tout ce que tu veux me dire est vrai ? Ensuite est-il quelque chose de bon ? Enfin, est-il utile de le raconter ?
A la triple réponse négative du délateur, Socrate conclut : "Si ce que tu as à me dire n'est ni vrai, ni bon, ni utile, je préfère ne pas le savoir, et quant à toi, je te conseille de l'oublier." Belle leçon de sagesse, nous en convenons aisément.
Jésus va encore plus loin que le grand philosophe en demandant, non seulement de respecter la réputation du frère en tort, mais aussi de l'aider à s'amender. Que recommande-t-il concrètement ? D'abord de rappeler que le but de la correction fraternelle est de ramener le fautif sur la bonne voie et non de le diffamer. Tout doit commencer par un dialogue sans témoins, dans un cœur à cœur inspiré par l'amour et le respect. Effectivement, la correction fraternelle ne consiste pas à traîner un coupable devant un tribunal, mais plutôt à lui faire découvrir la miséricorde de Dieu.
Voilà pourquoi, en intervenant auprès du fautif, nous ne devons pas nous présenter comme des saints s'adressant à un pécheur, mais plutôt comme des pécheurs qui tendent la main à un autre pécheur pour l'aider. Aussi tout doit être fait pour éviter l'humiliation du coupable et l'esprit de critique inutile. Dans ce dialogue de frère à frère, de sœur à sœur, d'époux à épouse, d'ami à amie, la faute doit rester cachée pour que la dignité du coupable soit préservée.
Deuxième principe : la médiation progressive
Si ce dialogue échoue, on fait appel à un groupe de frères pour que toute l'affaire soit traitée dans la discrétion. Ici encore, précisons-le : il ne s'agit pas d'un jugement, mais d'un appel à la conversion. Si malgré cela, le fautif récidive, on implique la communauté pour l'exhorter à se ressaisir, à retrouver la bonne voie. Lorsque tout ce qui est possible a été essayé sans succès, la communauté doit, en désespoir de cause, se résigner à sanctionner la décision prise par le coupable lui-même de rester dans son péché. Cependant, l'exclusion n'a pas d'autre but que de protéger le reste de la communauté contre un mauvais exemple et d'éviter que le cas, en se transformant en scandale public, ne jette le discrédit sur les autres frères.
Frères et sœurs, au sein de nos communautés, à l'église comme en société, subsistent assez souvent des frustrations, des heurts, des conflits de tous genres. Comment les gérons-nous ? Usons-nous d'assez de patience, d'humilité et de douceur pour relever le faible, le fautif, le pécheur ; ou plutôt faisons-nous preuve d'impatience, de colère et d'intolérance à son égard en l'affublant de critiques acerbes et de vifs reproches ?
Est-ce qu'en face du mal commis, nous faisons preuve de miséricorde à l'égard du fautif : tout en relevant avec fermeté la responsabilité du pécheur appelé à se convertir, parvenons-nous à respecter sa dignité, à préserver sa réputation ?
Oui, comme vous le savez, ce n'est pas toujours facile d'apprécier le fautif qui demeure un frère, une sœur, un ami, un époux et que sais-je....
Et si l'on se mettait un tant soit peu à la place du coupable !