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Histoire de l’observatoire d’Abbadia
Pendant 117 ans, l’observatoire d’Abbadia a porté haut dans les milieux scientifiques, les couleurs de Hendaye. Il mérite que l’on s’y attarde, non seulement à ce titre mais également en qualité de témoin. En premier lieu, d’une époque où la recherche scientifique était à la portée d’un amateur éclairé pourvu qu’il ait connaissance, créativité et une fortune conséquente. En second lieu, de la garantie de réussite, de qualité et de notoriété que sont l’innovation et l’excellence.
Cet observatoire a été créé par le propriétaire des lieux, Antoine Thompson d’Abbadie dans le cadre d’un rêve plus large, celui de constituer un centre de « hautes études »[1] dédié notamment à l’astrométrie et géophysique. Il donne comme objectif à l’observatoire la publication d’un catalogue de 500 000 étoiles. Il est en phase avec une époque où les observatoires fleurissent sous l’impulsion des besoins scientifiques (Floirac en 1873, Besançon en 1884, Nice en 1888 et Puy de Dôme en 1909) ou géopolitiques (Strasbourg 1880). Les mécènes comme James de Rotschild et surtout Raphaël Bischoffsheim sont actifs dans le domaine.
Des débuts laborieux…
Après de premières expérimentations au château d’Audaux et à Bordaberry entre 1849 et 1859, un premier observatoire est construit au pied du château actuel. Mais ce n’est qu’à partir de 1875 que l’observatoire prend place au plus près possible du maitre des lieux.
Les débuts sont décourageants, la Nadirane[2] est décevante, l’entreprise Eichens de Paris construit la lunette, mais Adam Prazmowski omet de prendre en compte l’agressivité et la salinité de l’air qui attaquent l’optique. De plus, cette lunette est mal positionnée. Le projet est à reconsidérer.
Pour mettre toutes les chances de son côté, Antoine Thomson d’Abbadie fait appel à des conseillers anglais de l’Observatoire de Greenwich et de l’Université de Oxford, tout comme Henri Martinet cinquante années plus tard fera appel à l’anglais Colt pour dessiner le golf entre la mer et le château. Il demande au moine Dom Siffert de retailler l’objectif. Pour l’observation, il s’adresse à des spécialistes. Désormais l’observatoire est dans de bonnes dispositions. Jusqu’en 1897, sous la direction de son mécène et initiateur, il va amorcer la cartographie du ciel en collaboration avec Floirac.
La reconnaissance par l’innovation
En reprenant officiellement la direction en 1900, l’Abbé Aloys Verschaffel[3][4] dirige l’observatoire, jusqu’en 1923. A la tête d’une équipe de locaux qu’il a fini de former lui-même, il s’engage sur les chemins de l’innovation relative aux outils de calcul. L’un d’entre eux, le chronographe imprimant est présenté à l’Exposition Universelle de 1900 à Paris. Suivent les tables de calcul de positionnement des étoiles. En cela, il est en cohérence avec les idées d’Antoine Thompson d’Abbadie, lui-même inventeur. Les travaux de cartographie du ciel ne sont pas oubliés pour autant. De nombreux catalogues sont publiés.
En 1923, le Chanoine Paul Calot reprend le flambeau dans le même esprit avec l’appui efficace de Joseph Exposito. Innovation et qualité des observations mettent en avant l’équipe. Malheureusement, l’occupation allemande met une fin à l’aventure.
En 1945, l’activité reprend sous la direction de l’Abbé Jean Foursac, admirateur de l’Astronomie mais manquant de créativité. Heureusement, le personnel, grâce à sa rigueur, maintient la qualité des observations. Les Carmen et Catherine Susperreguy, Gaby Sorriegueta, Jean Echeveste, Louis Etchegorry et Joseph Exposito ont sauvé ce laboratoire implanté sur un territoire de confins.
Le chant du cygne
Entre 1758 et 1975, sous la direction de l’atypique Chanoine Raymond Puiffe de Magondeaux, auparavant le plus jeune Lieutenant de Vaisseau et grand espoir de la marine française, c’est le « chant du cygne ». En effet, malgré un saut technologique réussi grâce à l’investissement massif du CNRS et à l’arrivée providentielle de Martin Tellechea, la participation avec succès à deux programmes internationaux, la collaboration avec la Nasa et les observatoires de Washington et Tokyo, le laboratoire est arrêté. L’urbanisation du quartier, la pollution lumineuse de la Côte Basque et son isolement scientifique l’ont condamné. Le seul exemplaire du monde de lunette méridienne décimale s’est éteint.
Une vie après la mort ?
Espérons que c’est seulement une éclipse, l’Académie des Sciences ayant des projets dans ses cartons. La faire revivre supposerait de reprendre l’esprit du projet initial d’Antoine Thomson d’Abbadie, de faire du Château un Centre Scientifique ou du moins d’en faire un Centre de Culture Scientifique et Technique.
Pour l’instant, il est fortement recommandé d’aller s’imprégner de ce passé dans la salle de l’observatoire restée en l’état et d’admirer la lunette méridienne décimale, unique en son genre.
Jacques Eguimendya
AGORA-Txingudi
[1] « Notre confrère toute sa vie avait rêvé d’y installer un centre de hautes études ; avec l’assentiment de Madame d’Abbadie il était prêt à donner toute sa fortune pour la réalisation d’un si vaste projet ». Oraison funèbre du Secrétaire Perpétuel de l’Académie des Sciences, Monsieur Gaston Darboux.
[2] La Nadirane construite en 1863 a été détruite en 1902
[3] Antoine Thomson d’Abbadie a imposé par testament l’attribution de la direction à un ecclésiastique « dégagé des soucis du monde »
[4] Aloys Verschaffel a été élu à l’Académie des Sciences le 26 décembre 1911 et nommé Chevalier de la légion d’Honneur en 1923