D'où viennent les "vertus" républicaines? Elles n'existeraient pas sans les vertus théologales.
Les vertus théologales
- La liberté n'est pas une vertu mais un état. D'où vient-elle?
Notre liberté n'est pas inscrite dans le patrimoine génétique, donné par nos parents. Elle ne tient pas de notre nature engendrée, mais vient de notre nature créée. Qu'est-ce à dire? Elle relève de la manière dont un espace de liberté a été réservé à l’Homme en tant que créature privilégiée. Notre liberté d'hommes et de femmes est un don de notre Créateur. Elle est notre insigne distinctif qui, dans le monde du vivant, nous démarque du reste du monde animal.
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C’est avant tout notre conscience d’exister dont nous faisons individuellement l’expérience.
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C’est ensuite notre faculté de nous interroger sur le sens de notre existence, comme en témoignent les philosophies de tous temps et de tous lieux.
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C’est encore notre aptitude à progresser dans l’intelligence de la mémoire de l’humanité, dans l’industrie de nos civilisations, dans l'organisation et l'évolution de nos sociétés.
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C’est enfin la reconnaissance de la spiritualité qui nous anime, dont l'aile nous élève et nous soustrait à nos pesanteurs.
Tout cela vient du Père qui créa l'homme ainsi, libre, capable d'obéir ou de désobéir, d'aimer ou de rejeter.
Au final, il faut y croire à cette liberté, car elle n'est pas tangible. Face aux forces de contraintes et d'anéantissements, croire en sa nature libre permet d'échapper aux multiples esclavages de la modernité, et de garder sa dignité d'homme malgré l'enfermement (voir les récits d'anciens otages). La liberté est un acte de foi, mais la foi est une vertu.
- L'égalité n'est pas une vertu mais un droit. Qui nous l'enseigne?
L'égalité serait les mêmes droits pour tous. Mais qu'est-ce qu'un droit (par exemple: le "droit au mariage pour tous")? L'invocation du droit est souvent arbitraire et abusive. Première notion classique: pas de droit sans devoir. Nous devons nous appuyer sur une référence qui, pour nous, est le Christ. Relire le passage concernant les ouvriers de la dernière heure nous donne une clé pour comprendre l'amour du Père: celui qui n’a travaillé qu’une seule heure gagne autant que celui qui a enduré le poids du travail et de la chaleur de toute une journée. Choquant pour nous qui nous targuons de justice sociale, l’égalité est pourtant là; non cette égalité comptable, mais cette équité qui accorde le droit à la justice au lieu de se faire justice en raison de son droit. Jésus va plus loin dans l’égalité, paradoxalement, en disant qu’il y a des premiers qui seront derniers et des derniers qui seront premiers. Ainsi l'égalité devient le renversement des inégalités: rétablir dans le Royaume la justice qui n'a pas eu lieu en ce monde. Quand l'égalité n'est plus arithmétique (comptable) mais éthique, elle devient équité.
Le Christ, lui qui était Dieu, s'est rendu notre égal en prenant notre condition. Il veut inverser à nouveau cette position en faisant que nous puissions prendre sa condition de fils de Dieu:appel à la sainteté. Quel mystère à approfondir! Enfin, en nous appelant à vivre le Royaume dès aujourd'hui, Jésus veut faire de nous des frères égaux entre eux aux yeux du Père.
Au final, il faut espérer que l'égalité gagne peu à peu son combat, notamment à travers la démocratie. Jamais complètement gagnée, toujours en ouvrage. L'égalité est un acte d'espérance, mais cette espérance est une vertu.
- La fraternité est la seule vertu des trois. Qui nous inspirera?
A quoi aspirez-vous, sinon à la paix du cœur? Comment établir cette paix, sinon en vivant en harmonie les uns avec les autres? Pourtant nos pulsions, souvent dites “instinct de mort”, s’imposent à nous, comme des hymnes guerriers, si nous n’y prenons garde (la Marseillaise en est un). Heureusement un contre-chant existe. En nous s'élève un choral de tendresse qui nous emporte, nous soulève et nous attire volontiers à lui. C'est la voix de l’Esprit en nos cœurs, dont “on ne sait ni d’où il vient, ni où il va” (Jean 3,8), et qui chemine dans notre vie, et qui balaie les grands espaces du temps bousculant l'analyse de l'historien. L'Esprit est à l'œuvre à la fois dans le monde et dans le silence de chacun. Inimaginable! Que susurre-t-il à l'oreille de notre cœur? Il répète à l'envi le message de Jésus afin qu'il nous pénètre. Ce qu'il dit c'est l'amour entre nous, la fraternité entre tous. L'amour vient du cœur, là où réside Dieu en nous, son esprit, l'Esprit Saint.
Au final, pour aimer l'humanité, pour une fraternité véritable, il faut être rempli d'amour pour chaque être qui la compose, même le plus triste, surtout le plus affligeant, car c'est lui qui en a le plus besoin. La fraternité c'est un acte de charité. Toutes deux sont vertus.
Parlant du Père comme fondateur de la Liberté, du Fils comme révélateur de l’Egalité entre les hommes, et de l’Esprit comme inspirateur de la Fraternité dans le coeur de ceux-ci, nous ne suscitons pas des symboles, nous appelons des personnes. Les trois personnes de la Trinité ouvre à tout ce qu’il faut comprendre de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Autrement dit, hors d’elle - et le constat en est facile en observant le monde - la liberté est une illusion, l’égalité un mot vain, la fraternité une tromperie.
Note: Tout ce qui a été écrit dans cette série d'articles se veut une vision personnelle et ne prétend pas représenter l'enseignement du Magistère.
Didier HOUDIN