«Nous savons que les choses peuvent changer. Le Créateur ne nous abandonne pas (...), il ne se repent pas de nous avoir créés. L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour construire notre maison commune.»
Réduire le réchauffement climatique et réduire la misère relèvent d’un même engagement collectif et de chacun, selon ce texte qui appelle à une « conversion écologique » intégrale.
« Tout est lié. » L’affirmation parcourt les 187 pages de l’encyclique du pape François « sur la sauvegarde de la maison commune » rendue publique jeudi 18 juin. Un rappel constant que protéger l’environnement naturel est inséparable d’autres problèmes économiques et sociaux, qui exigent de revoir nos modes de vie et jusqu’à notre perception même de tout ce que Dieu a créé. En somme, une « conversion écologique », selon l’expression reprise de Jean-Paul II, à accomplir en intégralité.
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Publié en amont de la conférence de Paris sur le climat (COP21), Laudato si’ aborde dès le début cette question urgente. Le pape se fonde sur « de nombreuses études scientifiques » pour reconnaître que « la plus grande partie du réchauffement global des dernières décennies » provient « de l’activité humaine », comme il l’avait déjà affirmé. Le climatologue John Schellnhuber en a fait la savante démonstration devant le corps diplomatique et la presse réunis au Vatican pour la présentation de l’encyclique.
Mais le texte ne se borne pas au défi climatique. Le premier des six chapitres dresse un état des lieux sans concession de « notre maison », couvrant déchets, manque d’accès à l’eau potable, perte de la biodiversité – également par « action humaine » –, urbanisation galopante et jusqu’à la « pollution mentale », qui gagne les esprits saturés d’écrans.
« L’environnement humain et l’environnement naturel se dégradent ensemble »
De ce constat alarmant, selon lequel « l’environnement humain et l’environnement naturel se dégradent ensemble », ressort la dénonciation d’une consommation effrénée des plus riches, de la mainmise par de « grandes entreprises mondiales (…) qui s’autorisent dans les pays moins développés ce qu’elles ne peuvent dans les pays qui leur apportent le capital ». L’encyclique du premier pape du Sud fait le procès des inégalités… et du Nord, qui a une « dette écologique ».
Pour solder cette dette et restaurer la maison commune, au risque sinon de « nouvelles guerres », Jorge Bergoglio ne mise pas sur le seul remède technique. Au contraire, il se méfie de solutions isolées, sans éthique et source d’autres problèmes. Il rejette la limitation de la population mondiale quand le problème qui prime est « le consumérisme extrême et sélectif de certains ». Les « déclarations superficielles », les « actions philanthropiques isolées » ou la responsabilité sociale des entreprises ne pèsent guère à ses yeux. Ni les sommets mondiaux. Les lois et règlements, trop souvent contournés, ne garantissent pas non plus de meilleurs comportements. Car, malgré une sensibilité écologique accrue, le pape s’inquiète de « la manière dont l’être humain s’arrange pour alimenter tous les vices auto-destructifs (…) en agissant comme si de rien n’était ».
Accepter « la réalité d’un monde limité et fini »
Pour reprendre jusqu’à la racine un « système mondial » devenu « insoutenable », il invite au fil de son texte à un changement en profondeur. Celui d’un regard, qui accepte « la réalité d’un monde limité et fini » et en même temps qui s’élargit à sa globalité pour en retrouver le sens. Changement d’un cœur, qui contre l’indifférence, retrouve le sentiment d’appartenance à « une seule famille humaine » et, contre l’isolement, soigne la rencontre fraternelle. Changement aussi des gestes au quotidien, par une « sobriété heureuse » en rupture avec un « style de vie hégémonique » : « On peut vivre intensément avec peu. » Collectivement, cela passe par un changement de rythme, plus lent, et d’une pensée sur le long terme. Ralentir, quitte à « une certaine décroissance dans quelques parties du monde ». L’adepte de la théologie du peuple invite à la pression populaire sur le politique, à la responsabilité militante du consommateur, à l’offre d’un travail digne par les entreprises. Il invite au dialogue à tout niveau, sans idéologie.
Avec en priorité un choix privilégié pour les nécessiteux : « Toute approche écologique doit incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits des plus défavorisés. » Il faut « écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ». Tout ceci fonde une « conversion » vers une « écologie intégrale ». Cœur de la proposition de l’encyclique, elle commence par l’éducation pour « de nouvelles convictions, attitudes et formes de vie ».
Bien que sa lettre s’adresse à tout habitant de la planète, le pape donne au final une assise chrétienne à cette « spiritualité écologique ». « Un ascétisme écologique », prônait jeudi 18 juin le métropolite John Zizioulas, représentant orthodoxe du patriarche Bartholomeos. Pour le pape, il s’agit d’apprendre à « contempler le Créateur qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure ». Et de s’émerveiller ainsi d’être, à toute créature, lié.
Sébastien Maillard, à Rome