Homélie du 27e dimanche du temps ordinaire Année A
Bien-aimés du Seigneur,
Les textes de ce dimanche nous parlent d'un propriétaire de domaine qui planta une vigne. Il l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir puis bâtit finalement une tour de garde. Tout ce qui était de son possible, le propriétaire du domaine l'a fait pour le bonheur de la vigne. Enfin de compte, avant de partir en voyage, il confia sa vigne à des vignerons dans l'espoir de bénéficier des fruits de son projet en temps voulu. Mais chose surprenante, les métayers embauchés, c'est-à-dire les vignerons, se transforment en meurtriers en vue de s'emparer du champ. Poussés par la révolte et une cupidité insatiable, les vignerons n'hésitent pas à mettre à mort l'héritier du domaine.
Dans ce récit émouvant, plusieurs détails rappellent des événements historiques tels que la passion et la mort du Christ (le Fils du propriétaire), ainsi que la destruction de Jérusalem par Titus en l'an 70 de notre ère. Cependant, il est évident que les enseignements de ce récit vont bien au-delà de ces allusions historiques qui transforment la parabole en allégorie. Résumons-les brièvement.
La vigne et son propriétaire
Pour les auditeurs du Christ l'histoire de la vigne est pleine de réminiscences bibliques évoquant l'Alliance. De fait, le propriétaire, c'est Dieu, la vigne représente le monde ou le peuple d'Israël. La clôture peut désigner la loi, et le pressoir l'autel des sacrifices dans le temple. Tous ces éléments soulignent l'amour profond du propriétaire pour sa vigne et, par analogie, la prédilection de Dieu pour son peuple. L'essentiel était fait, nous dit le texte, le propriétaire confie la vigne en fermage à des vignerons et part en voyage.
Ce détail souligne la liberté que Dieu laisse à l'homme. Ayant fait l'essentiel, Dieu remet le monde dans les mains de l’homme ; il lui fait confiance. Il part en voyage, nous dit l'évangile. L'éloignement du maître souligne à quel point Dieu nous veut libres et responsables. L'homme est le gérant de l'entreprise de Dieu. Mais l'absence de Dieu (l'apparente absence de Dieu) n'est que temporaire. Arrive le temps de la moisson, le temps où l'homme doit rendre des comptes en présentant le fruit de son travail. Et c'est là, nous dit la parabole, que commence le drame.
L'attitude absurde des vignerons
Le tort de ces vignerons, on le sait, n'est pas d'être restés inactifs, mais d'avoir voulu s'approprier le fruit de la vigne. Pour arriver à leurs fins, ils brutalisent les envoyés de leur maître et vont jusqu'à assassiner son propre fils. Une telle attitude franchement scandaleuse déclenche la réaction du propriétaire.
En écoutant ce récit aux allusions trop évidentes, les pharisiens devaient se sentir directement visés ; mais ils ne sont qu'un maillon dans une chaîne ininterrompue depuis les débuts de l'histoire du salut. En effet, c'est de tout temps que les prophètes ont été rejetés, surtout par l’élite religieuse, cramponnée à sa bonne conscience et à ses traditions, égarée par ce qu'on pourrait appeler la " mentalité de propriétaire ". C'est de tout temps que les responsables du peuple de Dieu succombent à la tentation de travailler pour eux-mêmes au lieu de s'investir pour Dieu.
La violence croissante des vignerons, qui n’hésitent pas à tuer l'héritier, nous rappelle une vérité importante : chaque fois que l'homme s'érige en propriétaire du monde, il se transforme en bourreau pour ses frères. La cupidité démesurée fait de l'homme un assassin. Dans son ambition de se substituer à Dieu, l'homme devient, sans le savoir, un tyran et un meurtrier. Interrogez l'histoire et elle vous dira que la violence naît souvent de l'ambition.
De la parabole à notre vie quotidienne
Ces vignerons cupides et odieux qui sont-ils ? S'agit-il seulement des responsables religieux du temps du Christ ? Ouvrons les yeux et regardons notre monde. Que de fils assassins et de biens détournés par convoitise ! Que ne faisons-nous pas pour garder des biens mal acquis ? Comment administrons-nous ce que le Seigneur nous confie ? Sommes-nous suffisamment honnêtes pour reconnaître que nous ne sommes pas des propriétaires mais plutôt des gérants des biens de Dieu ?
La vigne confiée à d'autres vignerons
La conclusion logique de cette parabole comporte une double intervention du maître : d'abord le châtiment des coupables et l’attribution du domaine " à d’autres vignerons qui remettront le produit en temps voulu ". Le récit ne s'achève donc pas sur une note dramatique. Il va plus loin car, selon la belle expression d'un poète, « Dieu écrit droit avec des lignes courbes» ; il sait transformer la bêtise humaine en projet de salut: «la pierre rejetée par les bâtisseurs est devenue la pierre d'angle.".
Cet évangile a été utilisé contre le Peuple Juif, comme une" justification théologique " des malheurs qu'ils ont connus tout au long de l'histoire. En réalité l'Eglise devrait plutôt considérer cette parabole comme un avertissement qui lui est adressé. De fait, la vigne lui est confiée pour qu’elle produise du fruit. Elle doit donc éviter de reproduise le même drame en restant fermée aux appels que Dieu lui adresse à travers les prophètes de notre temps. L'avertissement est sérieux, ne l'oublions pas !