Épisode 2 : Du rêve à la réalité
Construite pour appuyer la pêche dans le grand nord, défendre le Québec et imposer la suprématie de la France en Amérique Septentrionale, l’attraction exercée par Louisbourg sur le Pays Basque, tout au long de ses 45 années d’existence est réelle. Toutefois, les attraits diffèrent entre la première période (1713 – 1745) et la seconde (1748 – 1758).
Les migrations de la première période sont induites tant par le traité d’Utrecht que par les nécessités de la pêche. C’est ainsi que la famille Daccarette est pour la troisième fois obligée de migrer. La première fût entre Hendaye et Plaisance à Terre Neuve, la deuxième de Plaisance à Saint-Pierre et Miquelon et enfin entre ce dernier lieu et l’Île Royale. Pour d’autres, et ils sont nombreux[1], les pêches à la morue ou à la baleine, les obligent à séjourner quelques mois à Louisbourg ou à s’y installer avec leur famille pour quelques années. Ce sont des marins, des spécialistes ou des entrepreneurs. Les plus adroits ou les plus chanceux deviennent les piliers de l’économie de cette colonie en devenant des « Bourgeois Marchands ». Pêche et sécheries de morues, commerce avec la Nouvelle Angleterre, les Antilles et le Pays Basque, armements et achat-vente de navires, artisanat lié à la mer, aubergistes, sont leurs activités.
Lors de la seconde période, après la restitution de Louisbourg, par l’Angleterre à la France, les motivations sont autres. La période est troublée. Les relations avec l’Angleterre sont exécrables avec leur lot de blocus des ports et d’attaques pirates. Les courants commerciaux traditionnels sont troublés. La misère s’installe à l’intérieur du Pays Basque. De nombreux basques sont poussés à l’exil soit dans l’espoir de gains faciles dans cet Eldorado, soit contraints par des situations familiales économiquement difficiles. Témoins de cette époque, les lettres du Dauphin le confirment, tout en révélant un nombre surprenant de femmes tentant l’aventure[2]. Ces personnes viennent s’ajouter aux habitants de Louisbourg revenant après leur expulsion par les Anglais et à un certain nombre d’Irlandais catholiques maltraités en Grande Bretagne[3]
Navires commerciaux, navires de pêche souvent armés en course et corsaires prennent la route de l’Atlantique, direction Louisbourg. Le voyage est direct ou comprend un détour par les Antilles. Ce qui est certain c’est qu’il n’est pas de tout repos. Imaginons ce que pouvait être ce voyage pour une famille comprenant des enfants, sur un navire prévu pour transporter des marchandises et, à la rigueur, un ou deux passagers. Imaginons, une femme seule pendant plusieurs mois en bute à l’hostilité des marins convaincus qu’elle va attirer le malheur[4]. Imaginons-nous les yeux rivés à l’horizon, à la recherche d’une voile qui en grossissant au fil du temps risque de se révéler ennemie. Une menace bien réelle qui, en 1757, a atteint les Hendayais Simon Darragory et Bernard Detcheverry capitaine et second du Superbe allant de Bordeaux à Québec ainsi que Peyo Daguerre et Esteben Daspilcouette respectivement capitaine et marin du Victorieux[5] allant de Bayonne[6] à Louisbourg et les a contraints à un séjour en Angleterre.
Après cette longue traversée, dont la durée est laissée à la merci de l’humeur des vents, l’heure d’arrivée et la météo gèrent les impressions du voyageur. Le point lumineux, dans l’obscurité la plus totale, au milieu de rien du tout, se détache et attire irrésistiblement. Le navire se dirige droit vers lui, comme s’il en faisait le passage obligé vers le nouveau monde, la nouvelle vie. C’est le phare de Louisbourg, montrant comme ceux d’Alexandrie ou de Portus, la puissance et la suprématie de la France et le début d’une possession ou d’un territoire. Si, comme c’est souvent le cas, le brouillard enveloppe le navire, le voyageur sursaute au coup de canon qui se rapproche. Pirate ou corsaire et la survenance de sévères ennuis ? Non, ce sont les coups de canon rythmés, annonçant la présence de la côte et du port français. Quelques minutes de navigation supplémentaires et le voyageur n’en croit pas ses yeux, le brouillard se dissipant, entre les falaises apparaît, tel un mirage, la ville tant attendue, bordée de murailles grises et dominée par le clocher de la chapelle Royale.
Quelques minutes plus tard, c’est le passage entre l’Île d’entrée, la bien nommée, où est installée une batterie protégeant l’entrée, et la « Tour de la Lanterne », brûlant son huile de poisson pour diffuser la lumière guidant les navires ou leur indiquant les écueils. Construit par Étienne Verrier comme toute la ville, il est le second de cette partie du monde après celui de Boston.
La voie est libre, mais encombrée. De nombreux navires sont au mouillage attendant, soit une cargaison à livrer à Québec, aux Antilles ou dans un port d’Europe, soit d’aller sur les bancs de pêche. Dans les périodes troublées, les corsaires amarrés à leurs prises attendent les décisions de l’Amirauté pour en tirer un gain. Puis c’est l’accostage au quai de la Porte Frédéric, où non sans ressentir un léger malaise, tout autant dû à la fermeté du sol qu’à l’avenir qui l’attend, le voyageur met pied à terre.
A travers la porte monumentale, il entrevoit déjà la rue principale, rue de Toulouse, histoire de ne pas couper trop vite avec la métropole. Au bout ce sont les casernes du Bastion du Roi avec au centre la chapelle Royale et son clocher qui se laisse admirer depuis la mer. Quelques pas de plus et c’est la vue sur les quais, les magasins du Roi, la boulangerie puis l’Hôpital du Roi. La majorité des maisons de particuliers sont en bois. La maison de l’Ingénieur du Roi, chargé du développement et des fortifications possède un potager expérimental[7]. Tous les bâtiments officiels par leur architecture, leurs pierres de tailles venues de Charente, leur élégance délivrent le même message du raffinement français en ce « Siècle des Lumières ».
Enivrer par la nouveauté, perdu dans ses pensées, inquiet pour son avenir, il ne reste plus au voyageur, venu du Pays Basque qu’à retrouver ses assises, ses racines pour mieux engager sa résilience. Pour cela une pause à l’auberge de l’Hendayaise de service ne sera pas inutile. Justement Madame de Galbaret tient établissement dans le faubourg, entre la forteresse et la Batterie Royale, élégant et imposant ouvrage militaire sensé défendre l’entrée du port. Femme reconnue à Louisbourg, au besoin, elle sera sûrement en mesure d’indiquer « qui est qui » parmi les Basques.
Jacques Eguimendya
[1] L’étude de l’Etat Civil de Louisbourg, en cette première période, l’atteste. En effet, au registre des enterrements on note l’importance majoritaire des marins basques noyés, le plus souvent dans le port même. Par ailleurs, de nombreux parrains lors des baptêmes sont basques.
[2] Souvent engagées comme servantes dans la noblesse et la haute bourgeoisie, mais susceptibles de profiter de promotions sociales étant donné le déséquilibre des sexes et la mortalité élevée des hommes
[3] Les registres d’Etat Civil relatifs à cette seconde période nous indiquent plusieurs « réhabilitations » de mariages, cette union devant être confirmée car la cérémonie anglaise n’était pas reconnue par l’Eglise Catholique Française.
[4] Une légende inventée par les Armateurs et Capitaines, craignant les éventuels troubles ou crimes provoqués par la présence de femmes.
[5] En cette année 1757, sur 91 navires français ayant relié la France à la Nouvelle France ou inversement, 43 ont été capturés
(Site : naviresnouvellefrance.net)
[6] Pour Alfred Lassus c’est Bayonne, pour le site canadien « naviresnouvellefrance.net » c’est Hendaye
[7] La terre de Louisbourg est revêche et acide, peu de légumes s’y adaptent et les fleurs encore moins. La grande majorité de la nourriture doit être importée, soit de l’Acadie, de l’Ile Saint-Jean ou de la Nouvelle Angleterre.